« Au milieu de l’hiver, j’ai découvert un invincible été. »
« (Camus)
Chronique du fond de l’air 1
Sous nos latitudes, avec quatre saisons, l’hiver, la nature semble mourir et renaitre au printemps. Après la grisaille et le marron triste, soudain tout verdit et se pique de couleurs.
Verts innocents
sourires en pétales
douce brise
coeur léger
danser
Osiris démembré par Seth, et remembrer par sa femme Isis va renaître et amener aux Egyptiens les cultures vivrières et la civilité.
Dans les mystères d’Eleusis qui sont des rituels liés à la nature et à sa prodigalité, Perséphone passe six mois sous terre chez Hadès et six mois sur terre avec sa mère Déméter, déesse de l’agriculture et des moissons.
Allégorie de mourir et renaître. Le Christ, la lumière, la vie, descend trois jours au tombeau puis renait d’entre les morts, avant de rejoindre le ciel à la droite son Père.
Celui qui a voyagé sur le chemin de lui-même connait ces morts et renaissances. On ne peut se dévêtir de l’ignorance que par ces passages où l’on quitte une peau, pour en prendre une autre. Entre les deux, nudité, vulnérabilité, mais aussi créativité, nouveauté…
Tout un chacun meurt et renaît sans cesse. Quitter quelque chose ou quelqu’un c’est toujours un peu mourir, pour renaitre ailleurs, autrement.
Le philosophe Héraclite disait qu’on ne plonge jamais deux fois dans le même fleuve. Ce monde si solide en apparence se meut sans cesse. C’est un monde flottant en perpétuelle transformation. Et nous-mêmes de simples passants.
Passagers de l’ombre
et de la lumière
mendiants aveugles
éblouis
danseurs ivres
du mystère
Tenir dans ma main l’éphémère printemps, et chanter à tue-tête avec les oiseaux, l’éternelle mort et renaissance.
Chronique du fond de l’air 2
La fleur de coquelicot, dans son humilité, grandit la tête baissée.
Quand elle la redresse, le lendemain elle s’épanouit.
Sa fragile corole résistera au vent, à la pluie, au soleil… un jour à peine.
Pourtant, sans retenue, elle offre son frêle coeur aux turpitudes du temps.
Fleur de coquelicot, ma soeur végétale.
Quel plaisir chaque matin de mai, de te saluer nouvelle !
Quarante jours après être mort et ressuscité, le Christ va, dans sa gloire, rejoindre son Père. Mais avant de quitter notre jolie planète bleue, il a promis à ses apôtres de leur envoyer la force de l’Esprit-Saint. Ainsi, pour Pentecôte, avec ses ailes célestes, celui-ci les touchera de sa grâce.
L’Esprit-Saint n’est pas réservé aux seuls apôtres. Le Père n’est pas dans un ailleurs céleste, mais au coeur du coeur de chacun. Avec Saint Augustin, ne le cherchons pas hors de nous, mais en nous. Ne le cherchons pas demain, mais là, au coeur vif du présent. Ne le cherchons pas comme un Autre, mais comme Nous-même au plus profond, au plus intime de notre être.
C’est tous les jours Pentecôte pour qui s’oublie lui-même, et ouvre son coeur sans crainte aux vents, aux pluies et au soleil d’une existence humaine.
S’éveiller à la jeune lumière de l’aube
Danser au soleil de midi
Chanter à la clarté du couchant
Prier dans la nuit
Chut
Dans de nombreuses civilisations le soleil a été divinisé.
Ra l’égyptien, huitzilopochtli l’aztèque, Tama-nui-ta-ra le maori,
Hélios le grec, Belenos le gaulois.
Dieux du feu, de la puissance, de la conscience.
Le soleil est tout à la fois Dieu de création et de destruction.
C’est pourquoi il est souvent accompagné
d’une Déesse de la pluie qui apaise son feu.
Mais elle aussi a ses colères et excès,
où elle noie tout dans ses débordements.
Dans les pays d’Europe de l’ouest, un de ces cultes solaires
a survécu, ce sont les feux de la Saint Jean.Moments de liesse populaire, le soir du solstice d’été.
Danses, chants autour d’un feu de joie.
On ne chasse pas les anciens cultes si facilement !
Hasard ou conscience subtile, en récupérant ce culte solaire,
le christianisme l’a associé à Saint Jean.
Jean le baptiste qui baptise par l’eau.
On retrouve l’association : eau et feu.
Feu de la conscience, de la connaissance, de la discrimination.
Eau du coeur, de l’amour, de la compassion, de la douceur.
Oh un soir d’été
Arroser son jardin
et devenir l’eau
Qui s’écoule de l’arrosoir
Chronique du fond de l’air 4
Oh, nuit d’été, qui pourra te dire ?
Ton silence bruissant de grillons, de grenouilles, de crapauds et de lucanes.
Ton obscure profondeur où l’âme te contemplant s’abime en sa propre nuit.
La neige de tes étoiles, légère et folâtre qui poudroie le coeur silencieux.
Chantant avec Saint Jean De La Croix
« Sans appui et avec appui,
Sans lumière en l’obscur vivant,
Tout entier me vais me consumant »
Tout entier me vais dansant immobile, la nuit des sens et de l’Esprit
Me vais mourant à moi-même, nuit égale à la nuit
Me vais ressuscitant blanc comme neige
Me vais ceci et cela, et pas ceci pas cela
Me vais enfant farceur riant avec les étoiles
Tout entier me vais avec pour seul viatique, ces mots de Victor Hugo :
« Chaque homme dans sa nuit, s’en va vers sa lumière »
J’écris. Dehors stridulent les cigales.
Plus de temps
Chronique du fond de l’air 5
Dans l’occident catholique, le mois d’août, c’est le mois de Marie.
Sainte Vierge. Notre Dame. Mère de Dieu.
On fête son assomption, sa montée corps et esprit vers Dieu, le 15 août.
Mais à travers elle, ne fête-t-on pas aussi la Déesse mère.
La mère cosmique qui enfante et dorlote son enfant, le monde.
Elle se nomme, Isis, Cybèle, Artémis, Belisama, Vierge noire.
Déesse de la fertilité, de l’enfantement, de l’abondance.
Veut-on chasser son culte, qu’il ressurgit toujours.
Culte de la mère nature, des souffles vivants, de la douceur maternelle.
Déesse consolatrice, prends-nous dans tes bras.
Apre et cruelle est la vie ici-bas.
Mais ne nous endort pas.
Nous devons nous conquérir et nous transcender pas à pas !
Dans l’histoire chrétienne, il est une autre Marie.
Marie Magdeleine. Prostituée. Proche de Jésus.
Le pendant de Marie ?
La femme n’est pas que mère.
Elle est aussi amante, amie, compagne de vie.
Libre d’oindre de parfum le Christ.
Libre d’elle même !
Dans le dernier logion de l’Evangile selon Saint Thomas,
Jésus prends la défense de Marie Magdeleine.
« Simon Pierre leur dit :
« Que Mariam sorte de parmi nous.
Parce que les femmes ne sont pas dignes de la Vie. »
Jésus dit :
« Voici que je l’attirerai afin de la faire mâle,
pour qu’elle soit elle aussi un Esprit vivant.
Semblable à vous les mâles.
Car toute femme qui se fera mâle
entrera dans le royaume des cieux. »
Il aurait pu rajouter :
« Ainsi que vous les mâles vous devrez vous faire femme
car tout homme qui se fera femme,
entrera au royaume des cieux !
Le mystique le sait, qui se fait amante de son Dieu,
l’Epoux au royaume des cieux,
en quête d’union toujours plus totale.
Et, dans l’embras(s)ement ultime, selon Maître Eckart
« Et l’homme et Dieu disparaissent. »
Pour lors, Cela peut se vivre, mais non se dire.
Chronique du fond de l’air 6
J’habite un pays de vignes. Bientôt les vendanges.
Les baies violettes promettent de futures ivresses.
Pourtant, d’un tout autre élixir le mystique s’enivre
« Nous avons bu à la mémoire du Bien-Aimé,
un vin dont nous nous sommes enivrés avant la création de la vigne.
La pleine lune est son verre, et lui est un soleil que fait circuler un croissant.
Que d’étoiles resplendissantes quand il est mélangé !
Sans son parfum, je n’aurai pas trouvé le chemin de la taverne (le coeur).
Sans son éclat, l’imagination ne pourrait le concevoir.
Le temps en a si peu conservé qu’il est comme un secret,
caché au fond des poitrines. »
(Eloge du vin : Ibn Al-Faridh)
« Sois enivré d’amour, car l’amour est tout ce qui existe. »
« Moi aussi, j’étais sage et dégrisé comme toi, je reniais tous les amoureux.
Me voici devenir fou, ivre et libertin. »
« Notre ivresse ne provient pas du vin vermeil.
Et ce vin n’existe que dans la coupe de notre imagination.
Tu es venu pour répandre mon vin ?
Mais le vin dont je m’enivre est invisible. »
« Nous avons appris à l’Aimée à boire le vin.
Nous possédons le feu de l’amour qui brûle l’amour même. »
(Rubâi’yât Roumi)
« Mangez, ceci est mon corps.
Buvez ceci est mon sang. »
(Jésus de Nazareth)
« Il est l’heure de s’enivrer !
du vin, de poésie ou de vertu,
à votre guise.
(Baudelaire)
Chronique du fond de l’air 7
Comme chacun sait, à l’automne, les feuilles des arbres changent de couleur, et illuminent d’or la lente descente vers les frimas de l’hiver. On pourrait penser que la couleur des feuilles se transforme. Ce n’est pas le cas. A cause de la descente de la sève, et de l’arrêt de la fonction chlorophyllienne, les couleurs superficielles s’estompent et des couleurs déjà présentes apparaissent. Nous n’assistons donc pas à une transformation, mais à un dévoilement, une révélation de ce qui est caché.
Il en est de même sur le chemin de la connaissance de soi. Ici aussi, on ne se transforme pas. On enlève des couches d’ignorance, les unes après les autres. Je ne suis pas le corps. Je ne suis pas le mental. Je ne suis pas le coeur. Je ne suis pas la conscience. Je ne suis pas le vide… Ici aussi, un être/conscience de plus en plus lumineux se révèle. Le coeur de toutes choses est lumière. Et la mort des feuilles, comme celles des humains, est dévoilement de la lumière vivante qui nous constitue et anime.
En Inde, dans l’Advaita vedanta, on donne l’exemple de l’oignon. En effet, on peut ôter ses couches les unes après les autres, et à la fin il ne reste rien. Mais ce rien, pour ce qui est de la connaissance de soi, n’est pas un néant. C’est le point zéro, la source de toutes choses. Et pour les plus assoiffés, les plus audacieux, le voyage n’est pas fini. Arrivé à ce point, il faut faire un pas de plus, vers l’inconnaissable et indicible coeur de la lumière.
Danse infinie des saisons
parures diaprées de l’Esprit vivant
J’habite un pays sans saison
où toute danse est immobile
et tout chant silencieux
Le premier novembre, c’est la fête de tous les Saint(e)s, mais aujourd’hui les Saint(e)s n’ont plus la cote. A la Toussaint, on fête donc les morts, fête qui en réalité est le 2 novembre. La mort, voilà la belle affaire de la vie. Disons plutôt, l’anéantissante peur de la mort.
En bon disciple des philosophes grecs de l’antiquité, Montaigne nous rappelle que « Philosopher c’est apprendre à mourir ».
C’est apprendre à ne pas se laisser vaincre et dominer par la terreur qu’inspire la mort. En effet, qui peut supporter sereinement l’idée de n’être plus ?
De perdre la conscience de soi ?
Et pourtant, la mort n’est qu’une imagination, au sens où le philosophe Pascal en parle dans ses « Pensées ». Selon le grec Epicure, si l’âme est éternelle pas de soucis. Si elle ne l’est pas, pas de soucis non-plus, car nous ne rencontrons jamais la mort. Quand nous sommes, elle n’est pas. Quand elle est, nous ne sommes plus.
La mort n’existe pas pour le tout. Seuls existent le mouvement, et les transformations infinies du même. La mort en général n’existe pas, elle n’existe que pour une forme particulière et éphémère. La vague craint la mort, pas l’océan. De ce fait, la mort ne nous taraude qu’en tant que nous nous identifions à notre corps/esprit et notre conscience individuelle.
Le réveillé a lâché ces identifications.
Il vit chaque jour comme si c’était le dernier.
Et son cœur, psalmodie en silence
l’insondable musique vivante.
« Gate gate paragate parasamgate bodhi svaha »*
( Bouddha : Sutra du coeur)
*Aller, aller, aller au-delà, aller au-delà du par-delà, et s’éveiller. »
Chronique du fond de l’air 9
Les régions tempérées connaissent une saison
où la nature se met en sommeil,
redouté hiver, désert de frimas et de grisailles,
océan d’épreuves aussi pour les bêtes.
Pourtant, à partir du solstice d’hiver,
déjà sous terre se prépare le printemps,
déjà la germination est en route
et l’énergie vitale trésaille.
C’est à ce point de bascule que le christianisme a choisi
de faire naître le Christ
la porte, la vie, la lumière en la nuit des coeurs,
la bonne nouvelle d’un printemps spirituel.
Le voyageur de lui-même traverse les saisons du monde,
mais aussi celles de l’esprit et du cœur.
Il connait en lui des automnes et des étés,
des printemps, des hivers.
Hiver, désert de l’âme, vide nécessaire
pour que s’ouvre l’espace intérieur.
Vacuité lumineuse et féconde.
Mais le désert aussi n’est qu’une étape
sur l’âpre route vers soi.
Cheminer toujours et encore.
Il n’est point de repos pour l’homme,
et point d’attache en ce monde.
Pas plus de plein que de vide.
Chronique du fond de l’air 10
A un certain degré de complexité les sociétés humaines inventent un calendrier commun qui facilite la vie sociale.
Il est en général calqué sur des cycles cosmiques.
Tour de la terre sur elle-même, lunaisons, tour de la terre autour du soleil.
Ainsi, les danses de la terre et de son satellite se conjuguent avec nos trains train quotidiens.
Qui dit calendriers et cycles, dit début, fin et répétition.
Et comme les humains aiment les rituels, le nouvel an est fêté.
Fête laïque de la sociabilité et du renouveau escompté,
renouveau du coeur et de l’âme, renouveau dans sa vie,
renouveau souhaité à tous.
Mais le quotidien reprend vite son cours routinier,
et le renouveau espéré n’est qu’espoirs déçus.
Toutes attentes et espérances finissent souvent dans l’amertume.
Elles ne sont que du passé qui se projette vers un mieux supposé.
Krishnamurti nous a appris que toute pensée c’est du passé,
du déjà mort qui cherche à se survivre, et à se dessiner un futur.
Seule la conscience, cette présence à soi et aux autres,
est toujours neuve, et dans l’étonnement de toutes choses.
Clic clic clic du clavier
Danse des lettres noires sur le blanc
Infinie présence
Lumière vivante
Offrande
En hiver, de l’épiphanie au Mardi gras s’étend la période de carnaval. Elle se termine par la semaine des sept jours gras, également appelés « les jours charnels ».
Pour Mircéa Eliade c’était une période de régression dans le chaos avec « confusion sociale, licence érotique, orgie, beuverie, mangeaille ». Elle permettait de refonder la cosmogonie qui est ordre. C’était aussi un moment de travestissement, devenir autre un temps, pour mieux supporter de rester même.
Ce carnaval dont perdure des survivances très édulcorées, vient à n’en pas douter de fêtes antiques, les hypercales et dionysiaques grecs, et les bacchanales romaines.
Dans l’occident chrétien, ces jours de gras et folles libertés étaient suivis par son contraire. Le jour du mardi gras on brûle Monsieur carnaval pour peut-être effacer tous les excès, en tout cas pour marquer la fin et tourner la page. En effet, dès le lendemain, c’est le « Mercredi des cendres », jour de quasi jeûne qui va être suivi des quarante jours du carême (jeûnes, prières et aumônes). Ils fêtent les quarante jours de jeûne du Christ dans le désert et prépare Pâques.
Belle intelligence sociale des sociétés antiques puis chrétiennes, qui respectent pour les humains le besoin d’échapper cycliquement, dans un cadre festif et symbolique, aux contraintes sociales qui sont une forme de violence. Mais aussi, moments collectifs de retour à soi, d’humilité, de sens du mystère et du partage avec les plus fragiles d’entre nous. Toutes choses bien utiles à la vie des hommes.
Le sage n’échappe pas à cette règle. Le Bouddha disait fort justement « J’appelle sage, le conducteur qui peut emballer l’attelage, et qui sait le récupérer ».
Folle sagesse
Sage fou
voltige avec les atomes
Hors toute existence
et non existence
Frêles fleurs qui
dansez dans la brise printanière et
Grelottez aux nuits encore fraiches
Profitez de vos jours
Le temps vous est compté
Ainsi les pétales de cerisiers
envolés aux petits matins
Ainsi les nuits cristallines les mois les saisons
les ans qui voltigent
sur notre bleue planète
Eternels retours
Spirales diaprées des galaxies
Rêves de constellations
Aujourd’hui
tous corps tous mondes
me sont vêtements de fête et de deuil
Une unique éblouissante lumière
illumine la valse des papillons
et des comètes laineuses
Rythme les battements fragiles
de mon cœur
Vagabond céleste
idiot savant
A ma fenêtre méditant
« Qu’est-ce que c’est ?
Qu’est-ce que c’est ?
Le reflet de la lune
dans ma soupe… »
(Kenneth White)