La question de la souffrance et du mal

« Un cep a été planté dans le jardin du père.
Il sera arraché » (Jésus)

 

 

 

Une quête universelle :

      Quelle que soit la culture, nous soeurs et frères humains cherchons à échapper au malheur et à atteindre le bonheur. De ce fait, nous cherchons à rejeter tout ce qui à le visage de la souffrance, et nous nous accrochons, en revanche, à tout ce qui nous est plaisant. Cela n’est ni bon, ni mauvais. C’est un fait.

Nous savons tous  pourtant, que cette quête plus ou moins effrénée du bonheur nous rend rarement  heureux., et si elle y parvient, c’est toujours un bonheur éphémère accompagné de déception et de tristesse. Le bonheur n’est-il donc qu’un oiseau rare, qui demande beaucoup de peine pour l’attraper ? Et qui dès saisi, s’enfuit en laissant un goût amère ?

 

Un manque à combler ?

     Quel manque, quelle incomplétude transforment ainsi les humains en  des mendiants avides ? L’insupportable conscience de la mort ? La perte de la symbiose avec la nature ?

L’homme a développé un  langage de plus en plus abstrait, une mémoire toujours plus vaste, se coupant ainsi progressivement de sa mère nature. Puis, survint un évènement radical, une forme de déchirure  brutale, la perte de la fusion avec elle, la perte de l’instinct. Sitôt advenue, cette perte est irrattrapable, et elle laisse pourtant une innommable nostalgie. Se souvient-on à titre individuel quand nous étions en totale symbiose avec notre mère ? Peut-on la revivre ?

Le langage complexe des humains, et la conscience de soi individuelle qu’il engendre créent ainsi un véritable abîme entre l’homme et la nature, mais aussi entre l’homme et sa nature profonde… un abîme sans retour. Et cet abîme chaque humain le porte en lui.

 

Et la culture fut :

    Ceux qui ont creusé l’abîme sont aussi ceux qui désespérément cherchent à le combler. Et ce travail de comblement c’est la culture. Si on regarde l’histoire des humains, on voit grandir la place des connaissances intellectuelles et d’une conscience de soi toujours plus égotique. Avec la numérisation du monde on atteint aujourd’hui un incroyable point de séparation, et conséquemment une très grande angoisse de perte qui décuple d’autant l’avidité.

D’autant plus la conscience égotique de soi est forte, d’autant plus la peur de la mort est forte elle aussi. D’autant plus « l’anéantissante angoisse d’exister », comme dit le philosophe Hegel, nous étreint. D’autant plus le fond de l’être au monde est peint aux couleurs d’une  terreur plus ou moins indicible, mère de toutes les peurs et souffrances.

La culture, notamment à travers l’art et la création, propose des remèdes à cette conscience malheureuse d’être soi. A titre personnel à l’adolescence elle m’a sauvé la vie en donnant mots et formes esthétiques à mon profond mal être. Mais elle ne saurait suffire à une connaissance vraiment profonde et réalisatrice de soi.

La double flèche :

   Le Bouddha explique que si un homme reçoit une flèche il a deux blessures. La première infligée par la flèche est physiologique. La deuxième infligée par notre imagination  est psychique. Notre mental, mélange d’émotions, de souvenirs et de projections en rajoute dans l’exagération, l’inquiétude et la souffrance.

Si nous ne pouvons tout de suite agir sur la première, nous pouvons agir sur la deuxième en apprenant à nous distancier de l’imagination et de la persuasion de notre mental. Ce qui est vrai pour cette histoire de flèche est vrai aussi pour notre vie au quotidien. Ne pas se laisser emporter par le flux continu de notre mental qui voit plus facilement la vie en noir qu’en rose, et déforme, amplifie le ressenti de ce que nous vivons.

Soyons le témoin des sensations, émotions et pensées associées à notre vécu quotidien. Arrêtons de nous en croire les auteurs, et le monde deviendra fluide et léger… La souffrance conservera légitimement une dimension physique mais elle perdra sa doublure psychique.

 

Plaisir et souffrance les deux faces de la même pièce :

Les philosophes stoïciens nous apprennent que si un désir apparait il faut le méditer profondément, et que dans la plupart des cas il disparait. Si il ne disparait pas, alors il faut s’occuper de lui, il a quelque chose à nous dire et nous apprendre. Faisons de même avec la souffrance psychique et elle deviendra un bon maître sur le chemin de la connaissance de soi.

C’est notre mental qui sépare plaisir et souffrance, bonheur et malheur. En réalité, ils existent ensemble comme tous les opposés. Ils travaillent même l’un pour l’autre, comment ressentir le plaisir sans la souffrance, et l’inverse bien sûr.

Quand on comprend et vit, dedans comme dehors, que tout est Un, on accueille également les phénomènes tels qu’ils sont dans une  équanimité d’esprit, et ils glissent alors sur notre nature profonde qui est silence et joie. Le fruit spontané du retour à une conscience une et universelle est en effet, née de la vacuité, une joie infinie et sans cause, comme une bienheureuse respiration universelle.

Un bien et un mal :

   Il n’est dans l’ordre naturel aucun bien, aucun mal. Il n’est pas mal que le lion dévore la gazelle, ou bien que la vache ne mange que de l’herbe. Bien et mal n’existent que par rapport à un référent qui sert de mesure pour juger, et ils n’existent que l’un par rapport à l’autre.