Au Coeur de la Compréhension

     Tout chemin spirituel, à mes yeux, est un voyage de retour vers soi. Ce n’est pas ajouter des connaissances aux connaissances, des expériences aux expériences… C’est au contraire, une double dissolution : dissolution de l’ignorance grâce à la connaissance spirituelle, puis dissolution de cette connaissance spirituelle, par une compréhension profonde qui dissout tout connaissant.

   L’ignorance est dissoute quand la conscience individuelle se rappelle qu’elle est le fruit d’une illusion, d’une ignorance. Qu’en fait, elle est l’ être/conscience un et universel qui s’est oublié dans sa création, le monde, et s’est identifié à un corps.

   En vérité, c’est l’être/conscience lui-même qui se rappelle de sa véritable nature, et qui d’une certaine manière se réveille d’un long sommeil. Cette expérience explosive ne peut se produire que grâce à un corps, grâce à la discrimination intellectuelle et la dévotion du coeur.

   La connaissance spirituelle est dissoute quand l’être/conscience se rappelle qu’il n’est pas la réalité primordiale. Mais qu’il s’appuie sur… et surgit à partir de celle-ci, inconditionnée, ni quelque chose, ni rien, en deçà du temps et de l’espace…

   C’est un second réveil, d’un sommeil encore tellement plus profond. Ce n’est pas une expérience, c’est une compréhension fulgurante, l’extinction de tout connaissant…

   Pour le réveillé, tant que le corps continue à persévérer dans l’existence, celui-ci éprouve naturellement des sensations, des émotions, des pensées, et il a des connaissances relatives… Mais fondamentalement, le réveillé est un abîme sans fond, sans début, ni fin, sans existence, ni non existence… qui vit dans « un monde flottant », éphémère, illusoire…

   Il oublie au quotidien tout savoir spirituel, juste ouvert et présent au jeu de l’actuel, au jeu de la Lila, tel un danseur ivre de l’insondable mystère..

Psychoaffectif et inconscient

 

Des empêchements

Les textes bouddhistes parlent souvent des empêchements que l’on rencontre sur le chemin. La dimension psychoaffective et l’inconscient, son double caché, proposent, à n’en pas douter, bon nombre de ces empêchements.

Le psychoaffectif au plus simple est une organisation psychologique qui s’étaye et se construit à partir du physiologique et des relations affectives entretenues notamment dans la petite enfance, dans une culture donnée.

Cette organisation est essentielle car elle permet à un humain de devenir suffisamment autonome pour assumer sa vie dans la société, penser et agir par lui-même. C’est une assise nécessaire, par exemple, pour entreprendre et poursuivre un cheminement de connaissance profonde de soi.

Des processus psychologiques

Dans son étymologie grecque, la psychologie est la connaissance des souffles de l’esprit, de l’âme dira t-on plus tard. C’est une spiritualité, telle définie plus haut : une connaissance des souffles, des énergies.

Dans son sens d’aujourd’hui, elle s’intéresse aux faits psychiques, aux comportements, aux processus mentaux, aux sentiments, à la manière consciente, préconsciente ou inconsciente de sentir, de penser et d’agir d’une personne ou d’un groupe.

On le voit, la dimension psychologique est un processus très large et complexe de l’humain qui met ensemble des choses très diverses. Elle est à la fois l’ensemble des comportements et attitudes (comportements conscients) d’une personne, ou d’un groupe, et ce qui les met en œuvre.

De ce fait, il existe différentes psychologies : comportementaliste, clinique, cognitive, analytique, etc. Mais ce n’est pas le lieu d’une telle étude. Contentons nous de cerner ce qui, des processus psychoaffectifs peut être une aide ou au contraire un empêchement sur le difficile chemin de la conquête de soi.

Une jungle à déchiffrer et défricher

Au quotidien, le conglomérat psychoaffectif est une jungle. Toutes les fonctions psychiques s’y mélangent, et y voir clair est complexe. C’est pourtant très important pour qui aspire à se connaître. Souvent, dans les textes spirituels occidentaux on le nomme de ce mot valise : le mental, dont il faudrait se débarrasser. (On le confond parfois avec l’intellect, ce qui est dommageable.)

N’allons pas trop vite à la besogne. Il s’y mêle du bon grain et de l’ivraie. Avant de défricher le terrain, il va d’abord falloir le déchiffrer. Apprendre à le lire/connaître, pour remettre chaque chose à sa place. C’est le plus court chemin pour se découvrir et maîtriser soi-même, la contrainte est de peu d’efficience.

Sachons distinguer : les sensations qui viennent des sens et du cerveau reptilien, les émotions qui viennent du cœur et du cerveau mammifère, les pensées qui viennent du cerveau neuronal et les sentiments qui sont des émotions associées à la mémoire et aux pensées. L’observation calme (méditation et vie quotidienne) et la discrimination intellectuelle vont être nos outils pour ce travail. Un saut qualitatif est franchi quand retrouve sa place le niveau de la conscience, car elle est un comme un miroir où tout se reflète.

Pourquoi rejeter sensations, pensées et émotions ? C’est le précieux terreau du corps. Apprenons juste à les repérer in situ, et à ne pas se laisser emporter par elles. Alors, elles reprendront leurs places tout naturellement.

Une structure psychologique

Chacune(e) pour grandir doit se construire un moi structuré, une identité, qui permettent de se différencier, de créer une enveloppe et un squelette psychiques, de gérer l’espace/temps, et nos actions. Ce moi, sauf pathologie, n’est pas replié sur lui-même, il est en relation avec le corps et le monde qui l’entoure. Il se construit même dans ses interactions avec les autres que lui : famille, tribu, culture…

C’est à la fois une base et un contenant pour vivre en tant qu’humain libre et responsable de lui-même. Il ne gêne en rien la recherche spirituelle. A condition, comme vu plus haut, de ne pas le confondre avec l’égo qui lui est un parasite et un vampire torturé par l’avidité et un orgueil insensé. Et à condition de vivre ce moi/structure en toute conscience et simplicité. Pour cela, soyons à l’écoute et comme toujours à l’observation de soi. Et pourquoi là encore vouloir changer quoi que ce soit ? Il est préférable d’accepter et de respecter sa nature profonde, son caractère et son tempérament comme on disait autrefois. C’est notre paysage intérieur, magnifions le par la contemplation.

Un inconscient psychoaffectif

Les choses sont plus complexes et compliquées que racontées plus haut car le psychoaffectif a un double caché : l’inconscient. Celui qui a été vraiment étudié et popularisé par S. Freud et la psychanalyse. J’ai lu dans un vieux texte indou une très belle image de l’inconscient. Dans les zones marécageuses parfois, une bulle d’air remonte du fond de la vase et vient éclater à la lumière en surface de l’eau. Ainsi, des tréfonds de l’esprit une bulle de mémoire, de refoulement, remonte et vient éclater à la surface de la conscience.

Cet inconscient là ne se fait pas tout seul, il est la poubelle, le refoulé du conscient psychoaffectif. L’affectif, c’est ce qui nous affecte, nous touche, nous bouleverse. Parfois c’est trop fort, mal interprété, ingérable, surtout dans la toute petite enfance. Alors, l’esprit clive le trop douloureux et l’enfouit, le cache dans un arrière-plan psychique. En ce sens, cet inconscient nait toujours d’un trauma, plus ou moins fort, réel où fantasmé.

On pourrait croire l’affaire réglée. Pas du tout, l’ainsi refoulé cherche à tromper le gardien du conscient et, comme la bulle de gaz carbonique du marais, à refaire surface. Il utilise ce qu’il trouve, les ratés dans les phrases, les somatisations (douleurs physiques), les rêves et plus embêtant toutes sortes de constructions symptomatiques (le symptôme dit à la place du refoulé). Le refoulé cherche à nous parler, alors écoutons le et cherchons à comprendre ce qu’il a à nous dire. C’est très difficile de le faire seul. Souvent surtout au début, l’aide d’un tiers thérapeute est nécessaire pour écouter, et donner parfois des clés de compréhension.

De nombreux inconscients

L’inconscient n’est pas que psychoaffectif. Yung, par exemple, a vu à travers ce que racontaient ses patients, qu’il y avait un inconscient humain collectif. Cet inconscient là fonctionne avec plein d’archétypes qui agissent sur nous et nous conditionnent à notre insu. En effet, tous les inconscients individuels ou collectif agissent en sous-main sur nos comportements, parfois dans les clivages les plus importants jusqu’à l’aliénation.

On sait aujourd’hui, qu’il y a des inconscient cognitifs, épigénétiques, sociétaux qui fonctionnent à la manière de l’inconscient psychoaffectif, et que ces inconscients dialoguent entre eux, et d’une certaine manière crée un inconscient collectif beaucoup plus complexe qu’imaginé par Yung. Le méditant profond le croise souvent sur son chemin. Peut-être est-ce ce que les tibétains appellent le « bardo-thodol », vaste contrée où l’esprit erre après la mort.

Dans nos actes quotidiens, la part du conscient est très minime. Le corps fonctionne très largement sans nous, géré par le cerveau silencieux qui est dans les intestins. Chacun(e) : cellules, organes, systèmes agissent avec conscience et application à leur niveau. L’ensemble de l’histoire de l’univers fonctionne à sa manière, faible ou forte, comme un inconscient actif pour nous. Le voyage spirituel avec le guide et le véhicule de l’être/conscience va le remonter, de manière non exhaustive bien sûr, tout le long du parcours de retour au point origine.

Rester vigilant

Le réveillé n’échappe pas aux remontées inconscientes. Il reste notamment très vigilant à ses rêves qui sont en relation directe avec l’inconscient psychoaffectif et son univers d’histoires sans queue ni tête, où tout et son contraire coexistent, où l’espace/temps à ses propres règles. Les rêves sont une manière illogique de se parler à soi. Ils n’en sont pas moins une langue à apprendre à déchiffrer pour dénouer d’anciens nœuds affectifs, et se mieux connaître.

Dans les rêves parlent aussi le guide intérieur. Combien il est précieux, de le repérer et d’écouter précieusement ses messages. Comme l’inconscient, notre mystérieuse réalité profonde nous parle de manière sibylline au travers de notre conscience de veille ou de rêves, ou parfois dans les détours surprenants du quotidien. C’est une lecture à apprendre progressivement. L’enseignement le plus profond et directement opérant est là.

Au-delà du conscient et de l’inconscient

Le but du chercheur de lui-même n’est pas de tout connaître de lui-même et du monde. Ce serait un  rêve fou. Son but, c’est de surmonter tous les obstacles pour revenir en toute conscience à l’origine de lui-même et de toutes choses. Puis, parvenu à ce point d’avoir l’audace, alors que d’une certaine manière il est le maître du monde, de se déprendre de tout conscient et de tout inconscient.

Devenir celui qui ne sait rien, ne peut rien, n’est rien, et qui tout simplement laisse le mystère au-delà de toute ignorance et connaissance opérer à travers lui. Simplement témoin et instrument de ce qui advient, dans une grande paix et liberté.