A l’écoute des émotions

 

« Au commencement était l’émotion »
(L. F. Céline)

 

« On n’épanouit pas une rose
avec ses doigts »
(Michel Alves)

 

 

 

Et le mouvement fut :

 

       Selon la cosmogonie Indoue, le monde est né d’un frissonnement, d’une première onde légère… D’une première émotion ? Etymologiquement,  « émotion » vient du latin « émotio », « motio », mouvement et « e », qui vient de…. Ainsi, l’émotion est  ce qui vient du mouvement, mais l’expérience nous apprend qu’elle est aussi ce  qui met en mouvement. L’émotion est donc fondamentalement mouvement, dans un univers lui-même tout de mouvements et de transformations infinies.

     L’émotion est porteuse de sensibilité, ses couleurs sont la joie, la peur, la colère, la tristesse, l’amour, la surprise… Ainsi, elle est comme une sensation, mais de quel sens ?

 

 

   Emotion et méditation :

 

   Dans la vacuité et la présence détachée, celui qui médite est témoin de l’apparition spontanée de toutes les sensations en lui. Ses sens externes sont clos, il ne reste que l’ouïe qui laisse passer les sons sans qu’on n’y prête attention. Il voit défiler des images et des pensées en tous sens. Il a un ressenti proprioceptif (sensibilité profonde due au tonus et la posture). Progressivement, il percevra en lui la circulation des énergies/consciences (des souffles) de plus en plus subtiles. Il voit aussi naître les émotions, et elles jaillissent  du coeur  comme jaillit la flèche de l’arc bandé. Plus elles viennent de profond, plus elles sont rapides.

   Le méditant profond va aussi voir comment par l’intervention du mental et de ses grilles d’interprétations, l’émotion va se transformer en sentiment qui est une représentation subjective et culturelle de cette émotion. Le sentiment lui va s’étendre dans le temps et être plus facilement pensable et exprimable.

    Le méditant profond laisse passer les émotions comme nuages légers dans le ciel. Elles vont ainsi  naître, faire un petit tour et puis disparaître sans laisser de traces.

 

 

Témoin des émotions :

 

   Arnaud Desjardins nous apprend fort justement que si l’on veut « être libre de ses émotions, il faut avoir la connaissance réelle immédiate de ses émotions. ». (Je me permets d’insister sur « immédiate »). C’est chose aisée en situation de méditation profonde et de témoin paisible, mais c’est une autre histoire dans la vie quotidienne. En effet, dans le brouhaha de la vie mondaine tous les ressentis et représentations sont plus ou moins confondus.

   Pour parvenir à ce que suggère Desjardins, il est nécessaire au quotidien de rester témoin des moindres mouvements de son intériorité, et donc entre autre de la naissance des émotions. C’est un travail d’attention et de discrimination. C’est transférer au jour le jour, et dans le tumulte du monde ce que l’on vit dans le calme de la méditation.

   Seul l’être/conscience peut être témoins du mouvement très rapide des émotions. L’intellect et le mental en sont incapables, ils arrivent toujours après. L’être/conscience est selon la belle image du Bouddha « un lac de montagne parfaitement calme où tout se reflète naturellement. » Là se trouve le secret, ne pas perdre au quotidien le contact avec l’ être/conscience/miroir …

 

 

Laisser passer les émotions ? :

 

     Sur le chemin de la connaissance de soi, les émotions ne sont pas seulement des nuages qui cachent le soleil de l’être/conscience. Elles sont aussi des signes et des fils qui nous guident vers plus d’intériorité. A nous de les repérer et de les suivre vers leurs origines,  tout en écoutant  leurs messages.

     Cela fait penser à la parabole du Christ sur le bon grain et l’ivraie. Il ne faut pas se précipiter à arracher l’ivraie, mais attendre que tout ait poussé, alors on pourra l’ôter et la brûler. Il en est de même pour les émotions, ne cherchons pas à nous en détacher avant qu’elles aient fait leurs oeuvres. Plus une émotion est insistante en nous, plus elle a de choses à nous révéler. Que cachent par exemple nos irréfragables colères, nos terreurs, nos passions ?..

     Les émotions sont le langage du coeur, et le coeur est un guide. Certains n’écoutent que leur tête, d’autres que le corps. Il est important d’écouter les trois : corps, esprit et coeur. C’est la triade vitale, à la fois trois et une.

 

 

A l’écoute du coeur du coeur :

 

    Les sensations sont la langue du corps, les images et les mots celle de l’esprit. Les émotions sont la langue du coeur. Langue sans mots, ni images. Soyons à son écoute, apprenons à la déchiffrer avant même que le mental ne la colore, et comme toujours, remontons avec elle vers sa source.

    Au centre du coeur est un espace où se déploient les émotions de la vie quotidienne (colère, jalousie, joie….), mais le voyageur de lui-même va découvrir un autre espace  au coeur de ce premier espace : le coeur du coeur. C’est le coeur mystique, le coeur sacré… Ici, le pur être/conscience est en contact muet avec la réalité primordiale, avec nous même au plus intime.  Cet espace est à la fois  le point zéro, une porte et la source vive de toutes choses. (« Je suis la porte. Je suis la vie. » Jésus) En même temps, un point et un espace infini.

        Du coeur du coeur s’exhalent des émotions extrêmement subtiles, indicibles avec les mots. Seuls les poètes s’y essaient avec des métaphores et la musique des mots, pour une invitation au voyage en pays toujours neuf et inconnu…

 

 

En deçà et au-delà des émotions :

 

            Au plus intime et central de chacun(e), du non temps, non espace, nait une rose. Ses pétales sont de lumière  sensible,   elles  s’épanouissent au soleil  d’un amour  pour tous les êtres et pour la réalité la plus primordiale. Cette rose, c’est le coeur. Et son parfum, les émotions.

       Et en retour, les émotions sont des guides vers nous- même,  obscur sol d’où jaillissent toutes vies. Cela ne peut se dire, mais seulement se vivre. Et miracle des miracles, cela peut se communiquer de coeur à coeur…