Notes sur la dévotion

« Aimez Dieu pour lui même. »
(Maître Eckart)

« Soyez passant »
(Jésus)


Statue derrière la cathédrale d’Angoulème

 

Une rencontre…

 

     Seigneur, je ne te connaissais pas enfant. Tu étais même tabou dans ma famille. Vers vingt ans, j’étais adepte du doute à tout va. Mais grâce à la logique, il m’arriva une drôle de pensée. Si je doute de tout, alors je dois aussi douter du doute. S’ouvrait là, au moins intellectuellement, un possible de la foi. Dans les années qui suivirent, ne sachant pas qui j’étais fondamentalement, et ayant l’impression de vivre avec un étranger, je me cherchais dans tous les sens, avec acharnement.
Vers vingt-cinq ans, Seigneur, tu fus là soudain, sur ma route, et une inexplicable foi se leva. Elle n’est plus jamais partie, même au plus fort des tribulations physiques et psychiques. Une foi, pas une croyance. A mes yeux, la croyance est encore très mâtinée de mental. « La foi n’est pas une croyance, mais une expérience. » comme le confirme Thérèse de Lisieux. La foi est d’emblée au-delà des mots et des pensées. Elle est toi Seigneur… Une présence forte, et en même temps subtile et douce.

 

Un chemin d’aimer…

 

   Seigneur, je t’ai cherché partout dans l’univers. Je cherchais cet Autre qui provoque en moi une telle « élévation », une telle béatitude… Je t’aimais comme un Autre Seigneur. J’étais ton dévot zélé et caché. Je te voyais partout, dans la montagne abrupte, dans la danse solitaire d’une fleur sur une falaise, dans un sourire d’enfant… Je suis assez peu sensible aux rites religieux, même si j’en apprécie la beauté et la profonde humanité. Je suis allé voir le tombeau de Roumi (mon maître de coeur) à Konya, mais cela m’a peu ému. Roumi est vivant dans mon coeur, pas dans ce tombeau !..
Aimer n’est pas si aisé. Est-on jamais certain d’aimer un autre ? Bien souvent on s’aime soi dans l’autre. Puis on aime l’amour lui-même et non l’Autre. T’aimer, Seigneur, c’était apprendre à t’aimer toi. Apprendre donc à s’oublier, pour être vraiment ton dévot. Mais en même temps apprendre à devenir Un avec toi. Apprendre aussi à supporter ton absence. C’est un chemin d’extases et de souffrances qui nous travaille, nous assouplit, nous prépare à d’autres expériences et compréhensions…

 

Une révélation soudaine…

 

   J’ai progressivement découvert Seigneur que si je n’étais pas là, tu n’étais pas là non-plus, et quand tu n’étais pas là, j’étais créature vide. Puis la révélation fut soudaine et totale, comme le formule si simplement Saint Augustin : « Seigneur, je te cherchais dehors, tu étais dedans. » Alors, un mantra va chanter longtemps en moi : « Je suis le Seigneur… Je suis le Seigneur… ». Mon corps est ton corps, Seigneur. Cet esprit est tien. Mon coeur est ta maison. Ta volonté est ma volonté…
Cette compréhension « Je suis le Seigneur », est une expérience extrêmement unificatrice. Elle signifie que tout est UN, et ce Un, c’est toi Seigneur. Je suis tout un, Celui qui est. Ce que je ressens profondément, ce que je pense, ce que je dis, ce que je fais, une seule et même chose. Le temple somptueux, un étron, une araignée, mon corps, une seule et même chose… Toi, Seigneur.

 

Je suis…

 

   Quand Moïse va sur la montagne, il entend qu’on lui dit : « Je suis Celui qui est. » Et Moïse croit qu’un Dieu lui parle. Cette compréhension là, va donner naissance à une religion avec un seul Dieu, mais dualiste, l’homme est séparé de Dieu qui seul Est. Si Moïse avait compris qu’il se disait à lui-même : « Je suis Celui qui est. », alors il aurait engendré une spiritualité non-dualiste. Son mantra aurait chanté « Je suis.. Je suis…Je suis Celui qui est  » Car Seigneur, tu es Celui qui est, tu es chaque chose, et chaque chose est Toi. Un…
Vous l’avez compris, ce que mon coeur nomme Seigneur, mon esprit le nomme : « étre/conscience ». Les mots de l’esprit ne sont pas les mots du coeur. Nous verrons dans un texte sur le corps, qu’il a lui aussi ses mots. L’ être/conscience est Un en notre corps, mais il s’exprime différemment en fonction de quelle partie parle. C’est l’être/conscience qui chante « Je suis… Je suis… », quand il reprend pleinement conscience de lui-même. Le corps supporte, ressent et danse; l’esprit représente, connait et chante; le coeur, aime, loue et guide…

 

Le voyage du coeur…

 

   Parler de dévotion, c’est donc d’abord parler du coeur, parler du point le plus mystérieux de notre être. Les enfants quand ils veulent dire qu’ils aiment dessinent toujours un coeur. Qui ne sait que son coeur s’accélère face à l’être aimé(e). Le coeur est le centre vivant de l’amour, même si rien de physiologique ne le montre. Les poètes de l’amour le chantent depuis toujours. On peut même parler d’une véritable intelligence du coeur. Le coeur est le siège de l’âme pour de nombreuses traditions.
Pour le chercheur de lui-même, le coeur est un voyage. D’abord siège de l’amour de soi et des autres, progressivement ou brusquement, au coeur du coeur un espace immense va s’ouvrir. Cet espace est le temple primordial où le pur être/conscience est en présence de son Dieu. Celui au delà de tout nom, de tout concept, de tout être. Et le pur être/conscience ne sait pour lors que louer, prier, aimer…

 

Celui qui guide…

 

   Notre culture occidentale nous a habitué à penser que c’est le cerveau qui nous guide. Nombre de théories spirituelles mettent le guide dans la conscience au niveau du troisième oeil, ce feu de la connaissance. Pourtant, notre guide le plus subtil, le plus primordial se trouve au plus profond du coeur. Au point de contact entre le pur être/conscience (toi Seigneur) et l’au delà de toute connaissance, de toute expérience (para Brahmane, au delà de Dieu).
Dans le calme du corps et le silence des mots, là où tout égo a disparu (ni moi, ni non moi) chante le murmure primordial. Le murmure du coeur, le murmure de l’indicible mystère, base de tout être et de toute connaissance. Cela murmure et guide au coeur de la nuit avec une infinie clarté et douceur. « Heureux les doux, ils verront le Royaume du père. » (Jésus).

 

Au delà du coeur…

 

   Roumi nous dit « (qu’)il est en chaque homme une goutte d’éternité, et (que) cette goutte, c’est le coeur. ». Cette goutte n’est pas figée. C’est un passage, une porte. La plus petite des portes et pourtant des univers entiers y apparaissent et y disparaissent. Des Dieux s’y faufilent et puis s’en retournent vers l’insondable. Notre conscience s’y dissout en en franchissant le seuil vers l’indicible nuit.
Le chemin de la conscience et le chemin du coeur ramènent à la même source, au même point de contact. Là, où si on avance d’un pas, il n’est plus de lieux, plus d’instants… plus de grossier, plus de subtil… Les deux chemins s’entrecroisent, s’accompagnent, s’épaulent et s’évanouissent ensemble avec la disparition du voyageur. L’oued, au delà du dernier oasis, s’est évaporé dans les sables du non advenu.