L’être/conscience : Un récit

« Quand la conscience est zéro, c’est la sagesse.
Quand elle est infinie, c’est l’amour. »
(Nisargadatta Maharaj)

 

Photo d’Alexandre Faye  Viaduc de Ségovie

Un surgissement…

 

     Du non temps, non espace, surgissent comme autant de futurs univers, de minuscules graines d’être/conscience. Le voyageur spirituel qui est remonté à la source de lui-même sait que la conscience est là dés le début du temps et de l’espace. Elle est là, comme pur être/présence. Puis, elle va se dilater conjointement à l’univers. A travers ce champ de conscience, tout dans l’univers est présent à lui-même et préoccupé à être.
Toute chose de la plus petite à la plus grande veut persévérer dans l’existence et si possible augmenter sa puissance d’être. C’est une loi universelle.

 

Une surprise…

 

   Une des grandes surprises du voyage spirituel est de découvrir que plus l’on remonte vers sa source plus vaste et claire est notre conscience. Son sommet est aussi son tout début, son état initial. C’est comme si, elle s’était obscurcie et oubliée elle-même dans le monde. C’est vraiment le cas, car selon l’expérience spirituelle, l’espace/temps et la matière sont de la condensation d’être/conscience. Tout est être/conscience, cristallisé ou pas, pure vibration ou pas…
L’univers tout entier est vibrionnant de vie, vibrionnant d’être et de présence à lui-même. C’est une illusion occidentale de n’appeler « vivant » que la dimension biologique de l’univers. La physique quantique entrouvre une porte sur l’extraordinaire vivacité du monde physique…

 

Un réveil…

 

   Nous humains, nous avons la capacité de nous réveiller du sommeil de la matière. Et de retrouver, merveilleux véhicule, les ailes de la conscience. Où les trouve-t-on ? Ni dans le passé, ni dans le futur. Mais là, sous nos yeux, dans la chair du présent. En fait, dans la présence au présent. Cela suppose un oubli au moins momentané du temps, et de ne plus être emporté par les sensations, les émotions et les pensées. C’est comme arrêter le monde (cf : Les méditations).
La conscience est un véhicule subtil et tellement compliqué à conduire. Veut-on la saisir, qu’elle n’est plus là. La connaître, qu’elle s’échappe. La conscience est comme un vide vivant, mais qui s’identifie et se confond avec tout. Comment l’expérimenter en tant qu’elle même ?

 

Une expérience fugitive…

 

   Les premières expériences d’abolition du temps, et de surgissement d’une conscience, vécue comme infinie et intemporelle, sont généralement fugitives, même si elles laissent une profonde marque en nous. On croit se souvenir d’elles, mais le souvenir n’est que la trace laissée sur notre mémoire. Elles sont en réalité insaisissables. Vouloir les revivre à l’identique de notre souvenir est le meilleur moyen d’empêcher tout retour de ce type d’expériences spontanées. Ephémères et insaisissables elles sont, éphémères et insaisissables elles doivent rester.

  En revanche, ce qui reste, c’est ce qu’elles nous ont permis de comprendre. J’ai vécu, il y a très longtemps une brutale expansion de conscience, où soudain ma conscience est devenue comme infinie. Je n’ai jamais essayé de reproduire cette expérience, ni ne me suis attaché à elle. Mais elle m’a fait comprendre que notre conscience ne se limite pas aux frontières de notre corps, mais qu’elle est immense. Cette compréhension là ne m’a jamais quitté, et m’a ouvert tout un champ de vécu que je nomme la conscience cosmique. La conscience cosmique, c’est la conscience en tant qu’elle est identifiée à l’univers.

 

Une illumination :

 

   La conscience devient ce à quoi elle s’identifie. Ainsi, le chemin de retour vers la source de soi-même est :
– soit un chemin d’identifications toujours plus larges. Je suis le corps physique. Je suis le corps subtil. Je suis l’esprit. Je suis la conscience cosmique, etc…
– soit un chemin de dés-identifications. Je ne suis pas le corps physique. Je ne suis pas le corps subtile. Je ne suis pas l’esprit. Je ne suis pas la conscience cosmique, etc…
Les deux voies mènent à la même expérience foudroyante : le moment où la conscience reprend conscience d’elle-même en tant que pure conscience. Elle s’était oubliée dans sa création, elle se réveille et se souvient d’elle même. C’est une expérience auto-illuminative.
La conscience qui se connaît elle-même est une lumière très subtile. C’est une expérience universelle. C’est le moment où l’être/conscience prend conscience de lui, où il se connaît lui-même. C’est une félicité inouï qui emplit tout l’univers.

 

Une grande illusion :

 

   En Inde, cet être/conscience/félicité (« sat chit ananda ») est aussi appelé « maha maya », la grande illusion. En effet, cette conscience devient comme ivre d’elle-même, toute connaîssante et toute puissante. Elle oublie qu’elle est apparue, et qu’elle dépend d’une réalité plus primordiale qu’elle. Elle se vit comme fille d’elle-même, infinie, immortelle…
Pourtant, quelque chose de terrible guette la conscience universelle. Elle va prendre conscience qu’elle peut disparaître en tant que conscience. Et cela est une déflagration insupportable, une terreur inouïe qui va elle aussi imprégner tout l’univers. Alors, elle tourne le dos à cette connaissance, et elle s’étourdit dans une co-création « folle » de l’espace/temps et de la matière. Elle va ainsi se disperser et s’oublier en partie, en se condensant et s’identifiant aux jeux du monde.

 

Une traversée du désert :

 

   Le voyageur spirituel qui s’en retourne vers le coeur de lui-même rencontre cet être/conscience/félicité. Il peut se laisser happer par sa formidable puissance et clarté, et s’y complaire, mais pour autant le voyage n’est pas fini. Un terrible désert et de non moins terribles tribulations l’attendent. On ne lâche pas la conscience comme cela. Cette conscience c’est le Dieu de notre monde, c’est le sel de l’univers. La vie et la porte…
Ce désert est comme un épais brouillard où l’esprit se perd, où même l’égo est totalement désorienté. Où le corps souffre de mille maux. Se déprendre de la conscience c’est se déprendre de la totalité de soi, corps, énergies subtiles, présence à soi… C’est accepter de n’être plus rien, de ne plus rien vouloir, de ne plus rien savoir…
Et un jour, l’identification à la conscience individuelle et universelle lâche. C’est une compréhension fulgurante, comme une porte qui s’ouvre, une disponibilité à l’en deçà de toute expérience et connaissance.

 

Une paix profonde :

 

   Celui là qui a lâché toute identification et tout repère, et qui est entièrement ouvert au mystère, connaît une paix profonde, sans bord et sans fond. La conscience n’est pas infinie, elle est un pont de lumière ente deux nuits, la nuit de l’oubli dans le monde, et l’insondable nuit d’où elle est née.
Pour le réveillé, l’être/conscience est un temple de lumière, une porte. Une vacuité, source de toute sagesse, car pure présence où tout se reflète spontanément. Aussi, un souffle d’amour sans cause et sans but pour tous les êtres, tel un soleil qui éclaire naturellement toutes choses, dans toutes les directions.
Paix profonde car le chercheur est mort. Ne reste au coeur de soi, que le sans nom, le sans tension. Le mantra pour lors chante : « Je suis le non né, le non mort. Les mondes jaillissent de moi, dansent et retournent se fondre en moi. Allegria ! Allegria ! Allegria !.. »

 

Un voyage aller/retour :

 

   Le voyage spirituel est un voyage aller retour. Il part comme n’importe qu’elle voyage de là où est le voyageur. Autant dire, du corps/ esprit et du monde environnant. Puis, le voyageur remonte vers l’origine de lui-même. C’est un voyage ardu, de chemin sans issues, en chemin sans issues, de brouillards suffocants, en lumières aveuglantes, d’exaltations, en chutes… où rencontrer un où des guides est une chance inouïe. Mais quoi qu’il en soi, on voyage seul. Il n’est, en cet aller, d’issue que dans la disparition consciente du chercheur lui-même, arrivé au bout de son chemin d’ignorances et de connaissances.
La mort du chercheur n’est pas la mort du réveillé. Le réveillé sait que quoi qu’il se passe, quoi qu’il fasse ou ne fasse pas, il ne se passe rien. L’être au monde est une brume de rêve. Le rêve de l’être/conscience, jouet des ses terreurs et des ses folles envies créatrices. Alors, le réveillé « revient » vivre dans le monde comme tout un chacun, avec comme le dit Rimbaud, « La vérité dans un corps et dans un esprit. » Voyage « retour » tellement aisé et limpide. Pour qui s’est transcendé lui-même, il n’est de nuage suffisamment épais pour murer toute lumière !..

 

Un éternel retour :

 

   Du non temps, non espace, surgissent comme autant de futurs univers, de minuscules graines d’être/conscience. Elles vont croitre, fleurir, fructifier, donner de nouvelles graines, disparaître… Et ainsi, indéfiniment ?..
Chaque univers, comme autant de fleurs du cerisier universel. Fleurs d’être, de conscience, d’espace/temps, d’énergies libres et condensées… qui dansent au gré du grand souffle, de la grande illusion d’être et de se connaître. Impossible rêve, mais dont la poursuite engendre et détruit les univers.
Le réveillé rentré à la maison, à la mort de son corps, se dissout dans le non temps, le non espace. Totalement Un avec l’indicible cerisier.